VICTIMES DE NOS TOXINES, par François Leclerc

Billet invité

Associer à l’Afrique le statut peu enviable de décharge des déchets toxiques du monde occidental n’est hélas pas une nouveauté. Certains pays-poubelles du continent continuent de recueillir une partie des déchets de l’industrie chimique et nucléaire et abritent des cimetières d’appareils électroniques usagés. Il en résulte à la fois un business profitable et de sévères conséquences environnementales et sanitaires. Mais cela se perpétue en dépit d’un cadre juridique international progressivement mis en place pour prohiber ces trafics : les volumes de déchets produits en Occident et le prix de leur traitement créent une irrésistible tentation financière aux conséquences mortifères.

La Chine a depuis pris le relais en tête. Régulièrement relevée avec effroi, la pollution atmosphérique des grandes métropoles chinoises et de régions entières du pays a atteint des proportions aux désastreux effets sanitaires. La Chine au développement industriel impétueux ne se contente pas de produire des biens manufacturés pour l’exportation ; dans le cadre d’une mondialisation bâclée, elle réserve aux Chinois une autre production, celle de polluants.

Le territoire est atteint à très grande échelle, plus d’un million de kilomètres carrés sur six millions étudiés selon le ministère de la protection de l’environnement (c’est presque deux fois la superficie de la France), affectant une grande majorité des cours d’eau. Tels sont les résultats d’une étude qui a duré de 2005 à 2013, non rendue publique au nom du secret d’État dans un premier temps, avant que celui-ci ne soit levé devant les rumeurs qui enflaient à son sujet.

Aux côtés de ces produits toxiques aux effets durables, on sait devoir désormais également ranger les produits financiers qui le sont tout autant. Bien que dématérialisés, ils sont eux aussi très néfastes, affectant le monde entier sans que l’interdiction de leur production soit même envisagée. À l’arrivée, la régulation financière bâtie afin de se prémunir de leurs effets n’est pas plus efficace que ne le sont les réglementations environnementales et sanitaires : la première est régulièrement contournée tandis que ces dernières sont souvent transgressées. Le royaume du « pas vu, pas pris » étend ses frontières, quand son opacité ne s’accroît pas.

D’une autre nature que la dérégulation financière, qui a été sciemment instaurée, une nouvelle dérégulation se profile : celle du système climatique. Elle ne parait pas pouvoir être enrayée, à enregistrer l’apathie régnante à son sujet. Cette passivité témoigne de la même impuissance que celle que l’on observe devant le pouvoir absolu de l’argent, car la rompre implique des remises en cause inimaginables car contrariant trop d’intérêts.

Et, comme s’il fallait en tout réglementer a minima, un nouvel épisode se prépare. Les négociations engagées à propos d’un futur pacte transatlantique liant les États-Unis et l’Europe ne portent plus en priorité sur les barrières douanières, déjà largement abaissées, mais sur les normes de production, avec l’intention d’instaurer également une dérégulation dans ce domaine. L’ère était au moins-disant social et fiscal, la même logique se déplace vers les normes environnementales et sanitaires afin de les y inscrire. Dernier cas répertorié : selon une étude publiée par la société américaine de microbiologie (ACM), l’industrie agroalimentaire serait à l’origine du transfert de gènes de bactéries résistantes aux antibiotiques. À l’origine de la chaîne qui pourrait aboutir à l’homme, le fumier des vaches traitées de manière intensive aux antibiotiques, puis les cultures qui l’utilisent comme engrais.

De surcroît, il est tenté d’imposer dans ce contexte une justice arbitrale qui peut s’émanciper du droit commun pour être rendue « en équité » (c’est-à-dire d’un commun accord et dans la confidentialité). Avec pour objectif qu’elle soit rendue en famille, circonscrite au périmètre restreint des acteurs oligarchiques du pouvoir économique, politique et financier.

À défaut de lui prêter un grand avenir, on ne contestera pas la cohérence de ce monde que les manuels d’histoire de demain qualifieront sans doute de « période des 1 % », en référence à la concentration de la richesse qui s’y renforce. Une période pendant laquelle les alarmes insistantes ne manquèrent pas – feront-ils observer – que ceux qui étaient au sommet de la pyramide financière et concentraient les pouvoirs ne voulurent pas entendre. Mais est-ce si surprenant ? Ne pas faire obstacle à la production de toxines de toutes natures est source de privilèges immédiats pour ceux qui se croient prémunis de leurs effets.